Interview de Geoffroy Mauvais, Coordinateur PAPACO, à Johannesbourg

Quel est ton métier et quelles sont tes principales expériences passées ?
Je suis vétérinaire de formation et je me suis spécialisé très tôt sur les questions de développement en Afrique. Mais ma vraie vocation, c’est la conservation de la nature, secteur dans lequel j’ai depuis toujours évolué, même déjà enfant. C’est un peu un handicap au fond car j’ai du mal à réfléchir en dehors d’un prisme émotionnel qui me lie à la nature. Difficile de rester purement rationnel et froid devant ce qui se passe et ce que l’homme inflige à sa terre. Et pourtant, je m’y efforce dans mes fonctions au sein de l’UICN où je coordonne depuis plus de dix ans le programme sur les aires protégées d’Afrique (www.papaco.org), un programme dont l’ambition est de créer les capacités africaines du changement pour réussir la conservation de la nature. Nous n’avons pas de recettes, nous faisons le pari que les hommes et les femmes que nous aidons à s’éveiller les trouveront. Si possible, à temps !

Selon toi, quelles sont les priorités pour la conservation de la biodiversité en Afrique ?
A mon sens, il faut suivre une approche globale et écosystémique, ne pas se limiter à certains taxons. La priorité est de conserver suffisamment d’écosystèmes dans leur intégralité pour passer les 20 ou 30 prochaines années qui sont des années de crise, de croissance de la population, de transformation économique, de surconsommation etc. Cela permettra, après cette période, soit de reconstruire à partir de ces sites, soit de disposer de richesses encore préservées. Un peu comme le loup revient aujourd’hui en Europe parce que l’on a su préserver certains lieux à partir desquels il recolonise peu à peu nos régions sans qu’on ait besoin de le réintroduire.

Il peut y avoir toute une dynamique de reconstruction des milieux par eux-mêmes mais encore faut-il qu’il reste un socle de taille suffisante. Ce socle, c’est celui pour lequel on se bat aujourd’hui ; mon objectif n’est pas de sauver toute l’Afrique, ni même toutes les espèces protégées, qui disparaissent plus vite qu’on ne parle et surtout n’agit, mais un ensemble d’écosystèmes représentatifs de savanes, de déserts, de forêt, de forêts d’altitude, pluviales etc. Cela se combine assez bien avec l’objectif des MAB, la préservation de ces écosyGeoffroy Mauvais, Coordinateur PAPACOstèmes pouvant tout à fait se faire avec des populations vivant en leur sein et le niveau de protection, y compris de l’aire centrale d’ailleurs, pouvant varier suivant les 6 catégories d’aire protégées proposées par l’UICN.
C’est aussi la conclusion du Rapport de l’Union Européenne « Beyond the Elephants » qui préconise d’investir sur du long terme dans un certain nombre de sites à déterminer selon leur richesse, leur rareté, les menaces auxquels ils font face, etc. Il faut absolument être pragmatique : s’opposer à l’exploitation des plus grosses mines d’or, par exemple, représente un combat perdu d’avance, il faut donc se focaliser sur ce qui est faisable. Nos choix sont cornéliens.

Les priorités de développement ?
Il y a d’énormes besoins de santé, d’eau, d’éducation, d’énergie ou d’alimentation. L’Afrique, ce sera 4 milliards d’habitants en 2100, 4 fois plus qu’aujourd’hui, soit presque la moitié de la population humaine sur un seul continent. Il faut accompagner cette croissance qui ne peut cependant se faire sur le modèle occidental d’aujourd’hui. Cela veut dire développer le solaire, l’éolien, recycler l’eau et les déchets ; tout reste à inventer en fait et les sites que j’évoquais précédemment, qu’on doit préserver, doivent faire partie du modèle qui sera suivi.

Certains mouvements récents proposent carrément de protéger la moitié de la planète ; cela montre une prise de conscience évidente de notre impact sur l’environnement et cette notion « d’épargner notre patrimoine » animal, végétal, agricole, culturel etc. fait son chemin jusque dans les zones rurales africaines.

Bien sûr certains évoquent des solutions de développement se passant de la préservation des écosystèmes, avec l’idée que l’on pourra recréer la nature depuis une éprouvette, comme c’est déjà le cas pour le végétal avec la congélation des semences ou le génie génétique. Cela fonctionne intellectuellement si on a une vision figée de la biodiversité, mais les espèces ont besoin d’évoluer avec le milieu et on ne sait pas si elles seront adaptées à un nouvel environnement quand on les ressortira de leur bocal. C’est un risque important : que l’on choisisse de ne pas protéger des écosystèmes parce qu’on serait capable de « recréer » certains animaux ou végétaux, c’est une vision lacunaire mais difficile à combattre. Les personnes qui ont conscience qu’un écosystème est un ensemble avec des interactions complexes en son sein, en permanente évolution, cela doit représenter moins de 5% de la population mondiale… Aujourd’hui on parle du climat parce que ça touche les humains. La biodiversité, elle, touche directement peu de personnes. Et pourtant tout le monde en dépend !

Tu as des exemples de Parc ou Réserves de Biosphère qui réussissent à allier conservation et développement ?
Je fréquente le Parc des Cévennes depuis sa création, un bel exemple ! En Afrique, c’est plus compliqué de discerner un exemple solide sur le moyen terme. L’Afrique du Sud et le Kenya ont réussi à « vulgariser » l’environnement comme une vraie ressource, financière dans le cas du Kenya et plus patrimoniale dans le cas de l’Afrique du Sud où la population est très fière de ses parcs, comme le Kruger par exemple. Dans certaines îles, cela fonctionne bien : dans la Réserve de Biosphère des Bijagos en Guinée Bissau, la conservation est basée sur la culture des habitants de l’archipel et leurs règles coutumières. Ils sont peu prédateurs, ils respectent l’environnement, ils pêchent très peu, ramassent des coquillages. La population est stable est le développement très limité. Un autre cas intéressant est la Réserve de Biosphère du Delta du fleuve Sénégal : on distingue différentes zones, tous les acteurs sont liés au fleuve donc ils ont tous intérêt à se mettre autour de la table pour écrire l’histoire. La Réserve de Biosphère joue un vrai rôle pour ce site : elle structure les interactions entre les acteurs, permet à tous de s’exprimer sur une ressource commune. Ce n’est pas juste un label pour reconnaître un territoire, c’est un outil pratique pour le gérer.

Il existe, a contrario en Afrique, des Réserves de Biosphère dont le territoire est uniquement une aire protégée. Elles ont été apposées sur un parc national préexistant par exemple, ce qui apporte de la confusion et parfois la tentation de déclasser certaines zones pour créer des zones tampons ou de transition et coller au concept. C’est une grave erreur. Il y a eu une boulimie des labels dans les années 80’ et aujourd’hui ils se superposent dans un flou dommageable. Je ne parle pas de l’efficacité de la gestion de ces sites mais bien du sens qu’ont ces Réserves de Biosphère. Il me semble urgent de clarifier les sites qui sont réellement des RB et de ne pas garder ceux qui n’en sont pas, notamment s’ils disposent d’une autre dénomination qui les protège par ailleurs. Mais c’est au Bureau MAB de proposer une stratégie. Il y a urgence.
Geoffroy Mauvais, Coordinateur PAPACO
On oppose souvent Réserve de Biosphère et Aire protégée sanctuarisée, tu as un avis ?
Ce sont des réponses à des enjeux complètement différents ! Dans le cas des Gorilles, par exemple, on a des espèces extrêmement rares avec des aires de répartition très limitées. Ils ne sont pas exposés seulement à la destruction de leur habitat ou au braconnage, mais aussi à la proximité des humains avec lesquels ils partagent certaines maladies. On peut aussi évoquer le crapaud vivipare au sommet du Mont Nimba, en Guinée, extrêmement rare et fragile. Dans ces 2 cas, la sanctuarisation est un outil indispensable pour préserver l’intérêt général et sauvegarder ces espèces. Mais s’il existe 6 catégories d’aires protégées, c’est bien pour apporter une réponse adaptée à chaque contexte !

Plus généralement, c’est important que les pays qui ont proclamé une aire protégée, et en particulier les sites du Patrimoine Mondial, soient cohérents avec leur décision : ces sites et leur biodiversité sont un héritage qu’ils ont décidé de préserver, au-delà des intérêts à court terme. Il est donc essentiel de respecter cet engagement. Ils doivent prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder ces sites et les espèces qu’ils abritent. Et cela a souvent un coût mais l’approche économique ne devrait pas diriger les choix. Parfois, il faut prévoir une compensation si le parc bloque certaines activités économiques, mais là aussi, il y a autant de modèles à inventer que de situations sur le terrain. C’est aussi le rôle des institutions internationales d’apporter des réponses à ces questions.

Dans la récente actualité, qu’est ce qui t’a fait plaisir ?
L’interdiction du travail de l’ivoire en Chine, c’est la meilleure nouvelle depuis très longtemps ! Cela veut dire que les ateliers vont fermer et que la demande va tarir. Cette annonce a été faite directement par le gouvernement Chinois, ce n’est pas une signature symbolique de plus sous la contrainte d’une convention ou lors d’un sommet international. C’est un acte fort je crois. Cela veut dire que bientôt, les éléphants devraient être tranquilles. Evidemment si la Chine respecte son engagement, là-aussi.

Aldabra, un atoll des Seychelles, avec un lagon intérieur incroyable. Des dizaines de milliers de tortues géantes vivent là, on y trouve des forêts de palétuviers, la seconde colonie de frégates au monde, les passes sont peuplées de raies et de requins, de tortues marines… Un lieu magique et bien géré qui démontre qu’avec rigueur et transparence, on peut y arriver. Pour les beaux sites terrestres, en Afrique de l’Est, Tsavo Ouest, le Mont Kenya, Bogoria au Kenya et en Afrique Australe, le Kalahari qui est un désert exceptionnel… bientôt classé au patrimoine mondial de l’Humanité. En Afrique de l’Ouest, c’ets plus compliqué car la mauvaise gestion occulte souvent les qualités des sites mais il existe encore des lieux incroyables comme le Niokolo, la Comoé ou la Pendjari. Ce sont d’ailleurs des Réserves de Biosphère !